Nicolas Horvath joue Hélène de Montgeroult (Grand Piano, 3/3)

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Seize ans après le premier recueil de sonates évoqué ici, quelque onze ans après le deuxième chroniqué , le troisième et dernier volume de l’intégrale Montgeroult by Horvath s’annonce copieux. Nous est promise 1 h 4’ de musique, articulée en trois morceaux à la fois semblables et dissemblables.
La Sonate en Ré (26’) – jamais enregistrée jusqu’alors – déploie quatre mouvements ou presque, à commencer par un Allegro spiritoso pesant la moitié de l’œuvre. La solennité habille les premières mesures aux allures plus martiales que spirituelles – ritendo en prime, toutefois. La répartition classique entre le thème à droite et l’accompagnement à gauche est rarement remise en cause hors quelques roulades des graves. Aussi pourrait-elle ne guère retenir l’oreille si Nicolas Horvath ne veillait à nuancer le propos

  • dans le piano des moments mélodiques,
  • dans l’irritation des passages plus dynamiques et
  • dans les mutations (contrastées ou progressives) reliant deux atmosphères distinctes.

Cependant, la dernière partie offre un peu plus de surprises, derrière les trilles, avec contretemps et coutures inattendues, poussant à en écouter davantage. À raison, car l’Adagio non troppo qui suit désarçonne d’emblée avec son la mineur curieux. Comme elle aime à le faire, après un prélude, la compositrice semble chercher son thème entre unissons et fragmentation du discours. Celui-ci finit par se faufiler en majeur, sans pour autant renoncer à la tentation du mineur. Hélène de Montgeroult confirme que le développement convenu n’a pas sa préférence. Elle préfère créer l’unité par des récurrences de formules reconnaissables plutôt que par le déploiement des possibles d’une cellule mélodique. Son interprète travaille la pâte ainsi suscitée avec la vigueur et la finesse attendue d’un bon pâtissier, coda étrangement funèbre incluse.

 

 

Le fait est que ce mouvement a réveillé notre intérêt qu’un premier mouvement moins pepsy (et hop) avait quelque peu engourdi. Deux autres mouvements nous attendent, la compositrice ayant préféré distinguer l’Allegro assai (1′) du Presto (5′), alors qu’elle se plaît ailleurs à les fusionner (sonate en Do du deuxième recueil, sonate en fa mineur de la dernière trilogie). Par son allant primesautier, le bref Allegro assai, ternaire, tranche avec les dernières notes lugubres du bel Adagio non troppo.
Le Presto ne lui cède pas en tonicité. La vitesse de tempo n’est pas tout : il s’agit tour à tour

  • de faire gronder les notes répétées,
  • de laisser virevolter le swing ternaire,
  • d’habiter les reprises et
  • de laisser les petits doigts osciller entre
    • délicatesse,
    • brèves envolées,
    • énergie concentrée sur trois notes rapides et
    • colère bien caractérisée.

Bien que certains points de montage paraissent patiner un peu (par ex. à 2’52), sans doute pour permettre à l’auteur de la notule de feindre qu’il a bien tout écouté, c’est broutille tant le mouvement nous confirme que le travail de Montgeroult mérite décidément d’être écouté. Bonne nouvelle : il nous reste deux sonates pour vérifier cette impression.

 

 

La Sonate en fa mineur (21′), tonalité déjà abordée à la fin du premier recueil, s’ouvre sur un Allegro moderato con espressione. Ce “con espressione” est une formule que la compositrice appréciait : on la retrouve cinq fois dans l’intitulé de ses mouvements. C’est dire si une interprétation molle ou informative serait inadaptée. Il s’agit de déballer quelques tripes sur le clavier au gré d’une écriture d’apparence sage non point en surjouant mais, démontre Nicolas Horvath, en caractérisant avec soin la spécificité de chaque passage. Alors, de l’interprétation, l’on peut goûter notamment

  • l’attention portée au texte,
  • le discernement présidant au choix des tempi et sonorités,
  • la foi dans le talent d’Hélène qui nourrit l’investissement du musicien, y compris dans les passages susceptibles de sonner comme un brin planplans s’ils n’avaient point été joués avec cœur, et
  • le souffle qui habite le musicien jusqu’au bout de la coda majeure !

L’Aria con espressione, tiens-tiens, est le single choisi par l’artiste pour promouvoir cette musique peu connue. À raison !

  • De l’élégance de l’harmonisation,
  • du culte de la simplicité et
  • du choix d’une ligne mélodique clairement dessinée (rare chez Montgeroult)

émane un charme évident qui transforme l’apparent manque d’inventivité en exploitation têtue de ce qui pourrait presque ressembler à un mantra mâchonné jusqu’aux derniers arômes – assurément de quoi toucher l’oreille de chacun et singulièrement celles d’un fou de musique minimaliste comme Nicolas Horvath.
On arrête de se la jouer fleur bleue avec l’Allegro agitato con fuoco, qui démarre sur les chapeaux de roue de carrosse. Le feu, il ne faut pas se fier à son apparence propre et rangée, l’interprète l’a, et la partition lui donne l’occasion de brûler à loisir. L’auditeur est saisi. Il partage avec l’exécutant une ivresse digne d’une bonne giclée de heavy metal. Posons en franglais que les passages plus soft permettent de renforcer l’impact d’un groove qui se nourrit

  • de son explosivité,
  • du dialogue entre les deux mains,
  • des variations de langage et
  • de modulations fort bien claquées.

 

 

L’affaire se clôt sur une Sonate en fa dièse mineur (16′) dont le premier mouvement renoue avec un esprit cher à la compositrice. Après l’Allegro con spirito de la première sonate du premier recueil et l’Allegro spiritoso de la première sonate du dernier recueil, voici un… Allegro spiritoso. Pour l’affronter, nul ne vaut un Nicolas Horvath. En effet, le zozo a les prérequis indispensables :

  • l’esprit tempétueux,
  • les doigts – des deux mains – fluides et
  • les poignets solides.

Attaques, traits et nuances colorent une partition dont l’animation occulte largement les passages quelque peu fades qu’une exécution moins engagée risquerait de révéler, surtout quand des reprises en remettent une couche. Cependant, derrière le solide savoir-faire de Montgeroult et l’attention remarquable du pianiste, pourrait poindre çà ou là la difficulté de la compositrice transcender le bien fagoté par le saisissant.
L’Adagio non troppo (un “Adagio non tropo” agrémentait la première sonate du même recueil, le livret précisant que les titres “sont présentés ainsi qu’ils apparaissent sur les partitions originales”) laisse respirer la sonate après son début en fanfare. C’est charmant, ciselé par une main droite baladeuse – sur le clavier, on a le droit – et pimpé par la tonalité de La, pendant majeur au fa# mineur.
Le Presto final renoue avec la houle et la bourrasque, fussent-elles souvent sagement corsetées. Le pianiste insiste avec pertinence sur

  • les contretemps,
  • les flux et reflux du discours ainsi que
  • sur les répétitions de
    • notes,
    • accords et
    • formules

qui, portés par les trilles, donnent, jusqu’à l’épuisement final, du corps au mouvement et du mouvement au corps.
Ainsi se conclut une somme pour mélomanes curieux, que l’on gagnera à appréhender dans sa globalité, avec ses pleins et ses creux, ses sommets et ses plaines, ses éblouissements artistiques et ses achèvements artisanaux. In fine, l’audace d’un tel projet se révèle justifiée grâce

  • à la variété,
  • aux trouvailles et
  • aux étincelles nées du frottement

    • d’un tempérament tonique contre
    • des conventions solides.

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